Chroniques coup de coeur


6 févr. 2015

En finir avec Eddie Bellegueule écrit par Edouard Louis

Auteur: Edouard Louis
Genre: Roman contemporain
Nombre de pages: 219
Date de sortie: 03/01/2014
Prix support papier: 17€00
Prix format numérique: 11€99
ISBN: 978-2021117707
Editions: Seuil

Synopsis:
"Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d'entendre ma mère dire Qu'est-ce qui fait le débile là ? Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J'étais déjà loin, je n'appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs et j'ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins de terre, l'odeur de colza, très forte à ce moment de l'année. Toute la nuit fut consacrée à l'élaboration de ma nouvelle vie loin d'ici."
En vérité, l'insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n'a été que seconde. Car avant de m'insurger contre le monde de mon enfance, c'est le monde de mon enfance qui s'est insurgé contre moi. Très vite j'ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût. Je n'ai pas eu d'autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.

Mon avis: 
Waouh !
En finir avec Éddie Bellegueule et l'un des romans les plus forts que j'ai lu jusqu'ici et j'ai adoré ce livre, vraiment.

Mes ressentis: 
Quel livre ! Quelle histoire !
Je suis complètement passée à côté de ce livre sorti en janvier 2014. Je n'en avais pas entendu parler malgré la polémique qu'il y a eue autour. Heureusement, ma belle-sœur (merci à elle) me l'a fait connaître et le résumé m'a tout de suite interpellée. Je me le suis rapidement procuré et je l'ai lu assez vite, car l'histoire m'a saisie. On tourne les pages, l'histoire nous embarque...c'est prenant.
J'ai aimé ce moment passé à lire "En finir avec Éddie Bellegeule". C'est très curieux de dire ça comme ça, parce que le texte est tellement fort, particulier et triste aussi, que je me surprends moi-même à avoir autant adoré cette lecture, et en même temps, je me connais suffisamment pour savoir que les textes dérangeants me plaisent toujours beaucoup.
C'est un roman qui parle d'homosexualité, des relations familiales, amicales ... Eddie Bellegueule est un enfant pas comme les autres, il ne le sait pas encore, mais il ne rentre pas dans les cases. Il n'aime pas les femmes et même s'il ne s'en rend pas compte au début du roman (il est trop jeune), il dégage quelque chose de féminin et de telle manière que cela est remarqué par les autres personnes de son entourage. Dès son enfance, les autres le traitaient de pédé, de tapette et bien d'autres mots déplaisants ... Il était aussi maltraité physiquement par des élèves de son établissement scolaire. Malheureusement, c'est un roman qui reflète parfaitement certaines mentalités face à l'homosexualité. C'est inconcevable que des personnes puissent réagir comme cela. J'ai presque du mal à y croire tellement certaines scènes du livre sont atroces.
Alors, on pourrait dire, c'est un roman, eh oui, c'est ce qui est noté sous le titre et pourtant, c'est plus que ça, puisque c'est avant tout une autobiographie. Peut-être qu'Édouard Louis a changé certains points, peut-être a-t-il édulcoré certains passages vers la fin, en tout cas, il s'est inspiré de son vécu pour écrire son livre. Il suffit de l'écouter parler, de lire certains articles pour comprendre que sa vie a été difficile et terriblement injuste.
De mon côté, j'ai vraiment bien aimé le style d'Édouard Louis. Sa plume est fluide, agréable, mais aussi crue, brute et parfois violente. Il dit des choses qui gênent, qui dérangent, ces passages malsains, qui font partie de son histoire sont inimaginables. On ne peut pas rester dans l'indifférence, on est obligé de ressentir quelque chose. Moi, j'ai trouvé les gens injustes avec Éddie, j'ai aussi trouvé les élèves de son bahut méchants et idiots.
J'ai été très surprise par l'entourage d'Éddie. Il est plus jeune que moi d'une dizaine d'années et j'ai eu l'impression que son histoire se passait à une autre époque. Ses parents ont une vision de la vie assez particulière. Édouard Louis en fait d'ailleurs un portrait pas très reluisant, il faut dire qu'ils sont : homophobes, racistes, pas très évolués, vieux jeu ...  Ils habitent dans un petit village où les gens ont de drôles de mentalités... Franchement, je pensais que tout cela n'existait plus, j'ai eu du mal à croire à ces descriptions choquantes.
La fin est un peu plus douce, ça se termine sur une note plus positive et on ferme le livre en se disant que cet auteur est juste : waouh. Édouard Louis écrit actuellement son deuxième roman. Je m'y intéresserai certainement à sa sortie.

Pour conclure: 
Un roman coup de poing. En finir avec Éddie Bellegueule est un livre dérangeant, clash, mais tellement fort et bien écrit qu'il ne laisse pas de marbre. Il fera partie des livres dont je me souviendrai dans plusieurs années, parce que ce roman autobiographique m'a marquée.
Édouard Louis est une personne qui me touche beaucoup, je vous conseille de l'écouter lors d'une de ses interviews, vous verrez que c'est une personne passionnante, il a une belle vision de la vie malgré son vécu et c'est une vraie belle personne.
Un livre à lire, j'aurais tendance à le conseiller fortement et à tous, mais le contenu est lourd alors peut-être à éviter pour les jeunes lecteurs et les personnes trop sensibles.
Angélique

Extrait: 
Rencontre
De mon enfance je n’ai aucun souvenir heureux. Je ne veux pas dire que jamais, durant ces années, je n’ai éprouvé de sentiment de bonheur ou de joie. Simplement la souffrance est totalitaire : tout ce qui n’entre pas dans son système, elle le fait disparaître. Dans  le  couloir  sont  apparus  deux  garçons, le premier, grand, aux cheveux roux, et l’autre, petit, au dos voûté. Le grand aux cheveux roux a craché Prends ça dans ta gueule.
Le crachat s’est écoulé lentement sur mon visage, jaune et épais, comme ces glaires sonores qui obstruent la gorge des personnes âgées ou des gens malades, à l’odeur forte et nauséabonde. Les rires aigus, stridents, des deux garçons Regarde il en a plein la gueule ce fils de pute. Il s’écoule de mon œil jusqu’à mes lèvres, jusqu’à entrer dans ma bouche. Je n’ose pas l’essuyer. Je pourrais le faire, il suffirait d’un revers de manche. Il suffirait d’une fraction de seconde, d’un geste minuscule pour que le crachat n’entre pas en contact avec mes lèvres, mais je ne le fais pas, de peur qu’ils se sentent offensés, de peur qu’ils s’énervent encore un peu plus.
Je n’imaginais pas qu’ils le feraient. La violence ne m’était pourtant pas étrangère, loin de là. J’avais depuis toujours, aussi loin que remontent mes souvenirs, vu mon père ivre se battre à la sortie du café contre d’autres hommes ivres, leur casser le nez ou les dents. Des hommes qui avaient regardé ma mère avec trop d’insistance et mon père, sous l’emprise de l’alcool, qui fulminait Tu te prends pour qui à regarder ma femme comme ça sale bâtard. Ma mère qui essayait de le calmer Calme-toi chéri, calme-toi mais dont les protestations étaient ignorées. Les copains de mon père, qui à un moment finissaient forcément par intervenir, c’était la règle, c’était ça aussi être un vrai ami, un bon copain, se jeter dans la bataille pour séparer mon père et l’autre, la victime de sa saoulerie au visage désormais couvert de plaies. Je voyais mon père, lorsqu’un de nos chats mettait au monde des petits, glisser les chatons tout juste nés dans un sac plastique de supermarché et claquer le sac contre une bordure de béton jusqu’à ce que le sac se remplisse de sang et que les miaulements cessent. Je l’avais vu égorger des cochons dans le jardin, boire le sang encore chaud qu’il extrayait pour en faire du boudin (le sang sur ses lèvres, son menton, son tee-shirt) C’est ça qu’est le meilleur, c’est le sang quand il vient juste de sortir de la bête qui crève. Les cris du cochon agonisant quand mon père sectionnait sa trachée-artère étaient audibles dans tout le  village.
J’avais dix ans. J’étais nouveau au collège. Quand ils sont apparus dans le couloir je ne les connaissais pas. J’ignorais jusqu’à leur prénom, ce qui n’était pas fréquent dans ce petit établissement scolaire d’à peine deux cents élèves où tout le monde apprenait vite à se connaître. Leur démarche était lente, ils étaient souriants, ils ne dégageaient aucune agressivité, si bien que j’ai d’abord pensé qu’ils venaient faire connaissance. Mais pourquoi les grands venaient-ils me parler à moi qui étais nouveau ? La cour de récréation fonctionnait de la même manière que le reste du monde : les grands ne côtoyaient pas les petits. Ma mère le disait en parlant des ouvriers Nous les petits on intéresse personne, surtout pas les grands bourges. 
Dans le couloir ils m’ont demandé qui j’étais, si c’était bien moi Bellegueule, celui dont tout le monde parlait. Ils m’ont posé cette question que je me suis répétée ensuite, inlassablement, des mois, des années,
C’est toi le pédé ?
En la prononçant ils l’avaient inscrite en moi pour toujours tel un stigmate, ces marques que les Grecs gravaient au fer rouge ou au couteau sur le corps des individus déviants, dangereux pour la communauté. L’impossibilité de m’en défaire. C’est la surprise qui m’a traversé, quand bien même ce n’était pas la première fois que l’on me disait une chose pareille. On ne s’habitue jamais à l’injure.
Un sentiment d’impuissance, de perte d’équilibre. J’ai souri – et le mot pédé qui résonnait, explosait dans ma tête, palpitait en moi à la fréquence de mon rythme cardiaque.
J’étais maigre, ils avaient dû estimer ma capacité à me défendre faible, presque nulle. À cet âge mes parents me surnommaient fréquemment Squelette et mon père réitérait sans cesse les mêmes blagues Tu pourrais passer derrière une affiche sans la décoller. Au village, le poids était une caractéristique valorisée. Mon père et mes deux frères étaient obèses, plusieurs femmes de la famille, et l’on disait volontiers Mieux vaut pas se laisser mourir de faim, c’est une bonne maladie.

Vidéo: Edouard Louis dans l'émission "La grande librairie":

Parlons de l'auteur: 
Édouard Louis a 21 ans. Il a déjà publié Pierre Bourdieu: l'insoumission en héritage (PUF, 2013). En finir avec Eddy Bellegueule est son premier roman.

Bibliographie: 
♦En finir avec Eddie Bellegueule → Editions Seuil (2014)

Quelques liens indispensables: 

2 commentaires:

  1. Je l'ai aussi découvert par hasard lors du prix roman des étudiants l'année dernière. C'est une histoire qui m'a beaucoup touchée et je regrette maintenant de ne pas avoir voter pour ce livre.

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  2. Je l'ai lu l'année dernière, j'ai beaucoup aimé mais j'étais parfois un peu gênée par tous les aspects de la vie privé de ses parents qu'Edouard Louis a dévoilé au monde entier.

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